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Par Hadrien Flamant
Droit du sport – Football – FIFA – TAS – Litiges internationaux
Un arrêt rendu par la Cour d'Appel de Rouen le 17 avril dernier a rappelé les règles de compétence matérielle en cas de litige entre clubs de football, à portée internationale (à savoir, entre un club de football français et des clubs étrangers), rejetant les arguments d'un club français ayant saisi un tribunal de commerce dans le cadre d'un tel contentieux.
En matière de football, les clubs sont en principe soumis à une obligation de loyauté envers leurs homologues en matière de recrutement de joueurs, l'article 18.3 du Règlement FIFA sur le Statut et le Transfert de Joueurs 🡕 prévoit :
« Un club désirant signer un contrat avec un joueur professionnel est tenu d'en informer le club actuel du joueur par écrit avant d'entamer toute négociation avec le joueur (…). Toute infraction à cette disposition est soumise aux sanctions appropriées ».
Cette disposition trouve logiquement sa traduction au sein de la règlementation interne, puisque le Règlement Administratif de la LFP 🡕 prévoit en son article 211 – Obligation d'information préalable des clubs :
« Avant qu'un club désirant signer un contrat avec un joueur, en vue d'une éventuelle mutation définitive ou temporaire ou un entraîneur ne puisse négocier avec un de ces joueurs, il est tenu d'en informer par écrit (courrier électronique ou lettre recommandée avec accusé de réception) leur club actuel.
Le non-respect de cette disposition expose ses contrevenants à l'application des sanctions prévues à l'article 10 du Règlement disciplinaire de la LFP ».
Malgré ces principes posés à échelle internationale, il est désormais malheureusement courant de constater que certains clubs s'arrogent le droit d'entrer directement en négociations avec des joueurs – parfois très jeunes – sans en informer leurs homologues.
Ce fut le cas en juin 2019, puisqu'un joueur sous contrat professionnel avec un club de Ligue 2 (France) était directement démarché par un club italien, puis par un club anglais, sans que son club n'en soit informé.
Par acte d'huissier, le club français faisait assigner les deux clubs étrangers devant le Tribunal de commerce local en responsabilité civile extracontractuelle et indemnisation des préjudices subis en raison des tentatives de recrutement du joueur à son insu et ses dépens.
A ce stade, il convient de rappeler qu'en matière de litiges internationaux entre clubs, la compétence de principe est celle des organes juridictionnels de la FIFA (sauf exceptions, non applicables au litige) en première instance (Articles 22 et 23 RSTJ), puis du Tribunal Arbitral du Sport 🡕 en appel (Articles 56, 57, 58 des Statuts de la FIFA) lorsqu'il s'agit de contester les décisions rendues par les organes de la FIFA. A échelle européenne, l'article 61 des statuts de l'UEFA prévoit que le TAS est seul compétent pour traiter les litiges de dimension européenne entre associations, ligues, clubs, joueurs et officiels.
- Sur les arguments portés par les clubs étrangers
En première instance, tenant compte des dispositions précitées, les clubs étrangers soulevaient une exception d'incompétence à propos du tribunal de commerce saisi par le club français. Ces exceptions d'incompétence étaient déclarées mal fondées par le tribunal de commerce, retenant l'absence d'une convention d'arbitrage entre les parties au regard de la nature délictuelle de l'action engagée, excluant toute clause compromissoire.
Toujours se fondant sur les dispositions précitées, les clubs italien et anglais interjetaient appel afin de voir les juridictions françaises déclarées incompétentes pour trancher le litige.
Les clubs étrangers plaidaient en faveur de la compétence des organes arbitraux de la FIFA et du TAS, prétendant que les normes applicables au litige entraînaient une incompétence des juridictions françaises en raison de la nature du contentieux et de la qualité des parties.
Arguant du fait que le club français était soumis aux dispositions des règlements FIFA, de l'UEFA et de la FFF, conférant compétence tantôt au TAS, tantôt aux organes juridictionnels de la FIFA, mais en aucun cas aux juridictions étatiques, une quelconque compétence pour trancher ce type de litiges. Et, par son adhésion à ces règlements, notamment nationaux, le club français s'engageait nécessairement à respecter la compétence dévolue au TAS.
- Sur les arguments portés par le club français
Le club français, ayant porté le litige devant les juridictions étatiques (en l'occurrence, le tribunal de commerce), estimait qu'il n'existait pas de convention d'arbitrage sous forme de clause compromissoire ou de compromis, et que les parties n'étaient pas adhérentes de la FIFA ni de l'UEFA.
Le club estimait par ailleurs que seule son association support, détentrice de l'affiliation auprès de la FFF, et non sa société (entité requérante) était soumise à la réglementation susvisée. Selon le club, la société commerciale est une personne morale autonome, qui ne pouvait en soit être soumise directement à la compétence juridictionnelle de la FIFA ou du TAS.
- Sur la clause compromissoire
Comme développé précédemment, les statuts et différents règlements nationaux et internationaux prévoient tantôt la compétence des organes juridictionnels de la FIFA, tantôt celle du TAS.
L'article 1442 de code de procédure civile (LIEN) prévoit que la convention d'arbitrage prend la forme d'une clause compromissoire ou d'un compromis. La clause compromissoire est la convention par laquelle les parties à un ou plusieurs contrats s'engagent à soumettre à l'arbitrage les litiges qui pourraient naître relativement à ce ou à ces contrats.
L'article 1448 du code de procédure civile 🡕 prévoit quant à lui que lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.
L'article 27 du règlement de procédure relevant du code de l'arbitrage en matière de sport dispose enfin que « le présent règlement de procédure s'applique lorsque les parties sont convenues de soumettre au TAS un litige relatif au sport. Une telle soumission peut résulter d'une clause arbitrale figurant dans un contrat ou un règlement ou d'une convention d'arbitrage ultérieure (procédure d'arbitrage ordinaire), ou avoir trait à l'appel d'une décision rendue par une fédération, une association ou un autre organisme sportif lorsque les statuts ou les règlements de cet organisme ou une convention particulière prévoient l'appel au TAS (procédure arbitrale d'appel) ».
Ces litiges peuvent donc porter sur des questions de principe relatives au sport ou sur des questions pécuniaires ou autres relatives à la pratique ou au développement du sport et peut inclure généralement toute activité ou affaire relative au sport.
Ainsi, à défaut de définition restrictive de cette compétence, les contentieux susceptibles d'être traités par le TAS comprennent le champ de la responsabilité extracontractuelle au titre des questions pécuniaires et plus généralement de l'activité sportive.
- Sur la soumission de la société commerciale du club français à la compétence juridictionnelle de la FIFA et du TAS
Comme exposé, le club français présentait l'argument selon lequel seule son association était soumise aux règlements sportifs. Sa société, ici partie au litige, ne l'était pas, selon cette argumentation.
Et, pour échapper à l'arborescence normative selon laquelle les clubs étaient soumis aux règlements fédéraux (et des ligues nationales), eux même soumis aux règlements internationaux (FIFA, TAS, UEFA), le club contestait l'existence d'une convention portant sur une clause compromissoire qui lui serait opposable, et de toute adhésion ou affiliation à une fédération lui rendant opposables les statuts et règlements des autorités sportives qui lui imposerait de se référer à la compétence du TAS, exclusive de la compétence du tribunal de commerce. Elle soulignait donc l'autonomie de la personne morale commerciale au regard de l'association support, à laquelle elle était pourtant liée par une convention, comme le prévoit le code du sport.
En effet, l'article L. 122-1 du code du sport dispose que toute association sportive affiliée à une fédération sportive, qui participe habituellement à l'organisation de manifestations sportives payantes qui lui procurent des recettes d'un montant supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d'État ou qui emploie des sportifs dont le montant total des rémunérations excède un chiffre fixé par décret en Conseil d'État, constitue pour la gestion de ces activités une société commerciale soumise au code de commerce.
Et, selon l'article L. 122-14 du code du sport, l'association sportive et la société qu'elle a constituée définissent leurs relations par une convention approuvée par leurs instances statutaires respectives et d'une durée comprise entre dix et quinze ans.
L'affiliation d'une association à une fédération donne lieu, selon l'article L. 122-16-1 du même code, à la délivrance, par la fédération sportive, d'un numéro d'affiliation dont l'association est seule détentrice. Mais, les clubs prévoient, au sein de la convention susmentionnée, que la société sportive constituée par l'association dispose du droit d'usage de ce numéro d'affiliation pour la réalisation des activités qui lui ont été confiées.
Enfin, le Règlement Administratif de la LFP pose la règle de l'adhésion des clubs à la Ligue pour participer à certains championnats, et du respect de ses règlements (règlements prévoyant les règles de compétence décrites ci-avant).
En l'espèce, bien que l'association support du club demandeur soit seule détentrice du numéro d'affiliation à la FFF, la société créée afin de soutenir les activités professionnelles et commerciales du club dispose d'un droit d'usage sur ce numéro d'affiliation, notamment prévu par la convention signée entre les deux entités.
Ce droit d'usage, ainsi que l'adhésion du club aux règlements de la LFP emportent logiquement, selon le tribunal adhésion aux règles de compétence prévues par les règlements sportifs.
En conséquence, la Cour d'Appel retient que compte-tenu de la hiérarchie des normes à laquelle a adhéré contractuellement la société du club demandeur, le tribunal de commerce ne pouvait retenir sa compétence matérielle.
La Cour renvoie donc le club à mieux se pourvoir et confirme par conséquent la compétence des instances arbitrales sportives pour trancher des litiges internationaux entre clubs, y compris en matière extracontractuelle.
Le club est condamné en outre au versement de la somme de 15.000 à chacun de ses adversaires en application de l'article 700 du code de procédure civile.