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Par Hadrien Flamant
Droit du sport - Football - FIFA - TAS - Litiges internationaux
Exemple pratique : FIFA CRL, 22 février 2024
Rappel des règles
Lorsque des accords collectifs nationaux ne s'en écartent pas, l'Art. 14bis du FIFA RSTJ - Rupture d'un contrat pour juste cause en raison de salaires impayés - s'applique :
- Si un club venait à se retrouver dans l'illégalité en ne payant pas au moins deux salaires mensuels au joueur aux dates prévues, ce dernier serait alors considéré comme en droit de résilier son contrat pour juste cause sous réserve d'avoir mis en demeure par écrit le club débiteur et de lui avoir accordé au moins quinze jours pour honorer la totalité de ses obligations financières. Des dispositions contractuelles alternatives applicables au moment de l'entrée en vigueur du présent article peuvent également être considérées.
- Pour les salaires qui ne sont pas versées sur une base mensuelle, la valeur correspondant à deux mois sera calculée au prorata. Le retard dans le paiement d'un montant équivalent à deux mois de rémunération sera aussi considéré comme une juste cause pour la résiliation du contrat sous réserve de se conformer aux dispositions de l'al. 1 ci-dessus relatif à la mise en demeure.
- Les conventions collectives valablement négociées par les représentants des employeurs et employés applicables au niveau national et conformes à la législation nationale peuvent s'écarter des principes énoncés aux al. 1 et 2 du présent article, auquel cas les termes desdites conventions prévaudront.
L'introduction particulièrement récente (2018) de cette disposition au RSTJ avait été décidée en réaction au comportement persistant de certains clubs de rémunérer les joueurs dans les conditions temporelles non prévues aux contrats, ou de ne pas verser de rémunération du tout, en particulier en matière de primes.
En effet, la majorité des litiges contractuels entre clubs et joueurs professionnels étant portés devant la CRL concernent des retards ou absences de paiement relatifs à la rémunération des joueurs. De même, la raison la plus courante de rupture prématurée et unilatérale de contrats de la part des joueurs trouve son origine dans ces retards ou absences de paiements.
Cette disposition prévoit ainsi que lorsqu'un club omet de verser deux salaires mensuels à un joueur, ce dernier sera considéré comme ayant un motif valable de résilier son contrat, si certaines conditions de forme sont remplies.
La notion de « salaires impayés »
Bien que la disposition fasse référence à des « salaires impayés », cette notion de n'implique pas que le retard de paiement d'autres formes de rémunération ne puisse constituer un motif valable pour qu'un joueur mette fin prématurément à son contrat.
Les primes sont ainsi bien évidemment couvertes par cette disposition. Ainsi, dans le cas d'espèce présenté ci-dessous, la rémunération impayée étant constituée exclusivement d'une prime de signature, la Chambre a procédé à un calcul au prorata de la valeur correspondante à deux mois de rémunération, la somme réclamée correspondant in fine à environ plus de sept salaires mensuels.
Un impayé représentant au moins deux salaires mensuels
Le joueur devra avoir subi un impayé correspondant à deux mois de salaires. Comme évoqué ci-avant, une prime impayée dont le montant dépasserait celui de deux salaires mensuels pourra évidemment être prise en compte comme constituant une juste cause de rupture de contrat.
Concernant la charge de la preuve, il conviendra pour le club de démontrer qu'il a bien rempli ses obligations financières à l'égard du joueur. En effet, il semblerait particulièrement difficile de solliciter du joueur qu'il prouve qu'il n'a pas reçu de paiement de la part du club, le négatif ne pouvant être prouvé (p. ex. CRL 23 mars 2023, Celar).
Une mise en demeure préalable
L'article 14bis impose au joueur de notifier par écrit au club que ce dernier est en défaut. Le joueur doit accorder à son club un délai d'au moins 15 jours pour s'acquitter pleinement de ses obligations financières.
En revanche, la disposition reste silencieuse quant à la méthode aux fins de prouver cette mise en demeure. La jurisprudence de la CRL a néanmoins apporté certaines précisions, indiquant que la rupture du contrat par le joueur au titre de l'article 14 bis était valable, nonobstant le fait que la mise en demeure n'ait pas eu lieu dans les formes initialement prévues par le contrat signé par les parties (le joueur avait mis le club en demeure via email tandis que le contrat prévoyait une mise en demeure par courrier postal).
Exemple pratique
Dans le cas d'espèce, se déroulant à l'étranger, un joueur et son club avaient conclu un contrat de travail d'une saison, contenant une clause prévoyant une prolongation pour une saison supplémentaire dans le cas où le club notifiait au joueur son souhait de prolonger la relation avant une date donnée.
Par ailleurs, le contrat prévoyait le paiement d'une prime à la signature du contrat, puis d'une « prime annuelle » en cas d'exercice de l'option de prolongation.
Avant la date prévue, le club notifiait au joueur son intention de prolonger le contrat.
Trois mois plus tard, le joueur transmettait au club une mise en demeure de payer la prime de signature annuelle pour la deuxième saison.
Outre certaines contestations concernant la validité de la mise en demeure, le club indiquait ne pas être redevable du montant sollicité, considérant que le paiement de cette prime devait échelonner mensuellement, ce qui n'était pas prévu au contrat.
Après avoir accordé un délai supplémentaire (supérieur à 15 jours) laissant au club l'opportunité de lui verser l'intégralité de la prime convenue, le joueur notifiait la résiliation du contrat conformément à l'article 14bis du RSTJ avant de déposer une plainte contre son club devant la FIFA aux fins de le faire condamner au paiement de la prime due ainsi que d'une indemnité de rupture de contrat, outre le paiement d'intérêts de retard et la mise en place de sanctions conformément aux articles 12bis et 24 du RSTJ.
Rappelant que « si un club venait à se retrouver dans l'illégalité en ne payant pas au moins deux salaires mensuels au joueur aux dates prévues, ce dernier serait alors considéré comme en droit de résilier son contrat pour juste cause sous réserve d'avoir mis en demeure par écrit le club débiteur de lui avoir accordé au moins quinze jours pour honorer la totalité de ses obligations financières », la CRL concluait que le montant réclamé par le joueur correspondait à plus de sept mois de salaires mensuels.
La CRL rappelait également que « conformément à la jurisprudence du Tribunal du Football, lorsque la date de paiement dans un contrat n'est pas déterminée, le montant est dû à la fin du mois ». La date de paiement de la prime annuelle de signature n'étant pas mentionnée dans le contrat, il convenait alors de considérer que ce paiement aurait dû avoir lieu au plus tard au moment du début de la nouvelle saison. Par conséquent, la CRL concluait qu'au moment de la résiliation du contrat, le joueur avait un juste cause pour ce faire, conformément à l'article 14bis du RSTJ.
Enfin, la CRL condamnait le club, outre au paiement de la prime due, au paiement d'une indemnité de rupture de contrat, rappelant que ladite indemnité était calculée, sous réserve de l'existence de stipulations contractuelles s'y rapportant, conformément au droit en vigueur dans le pays concerné, aux spécificités du sport et en tenant compte de tout critère objectif inhérent au cas. Ces critères comprennent notamment la rémunération et autres avantages dus au joueur en vertu du contrat en cours et/ou du nouveau contrat, la durée restante du contrat en cours jusqu'à cinq ans au plus, de même que la question de savoir si la rupture intervient pendant les périodes protégées.
En France
Il convient par ailleurs de rappeler qu'en France, il y a lieu d'appliquer les dispositions de la CCNMF (ou Charte du Football Professionnel) : Art. 259-2 - Obligations consécutives aux rémunérations :
- Tout club doit respecter les conditions de rémunérations fixées à l'annexe générale n°1 de la CCNMF.
- Les salaires doivent être versés par les clubs aux joueurs sous contrat au plus tard le dernier jour de chaque mois, dans les conditions du droit commun. Conformément aux dispositions du Code du travail, toute réclamation concernant les salaires, indemnités ou primes qui seraient dus à un joueur doit être formulée par ce dernier, dans un délai de trois ans à compter du jour où le règlement aurait dû être statutairement effectué.
- Les joueurs qui n'ont pas encore touché leur salaire le huitième jour ouvrable suivant l'échéance mensuelle doivent adresser dans les 48 heures à leur club une mise en demeure recommandée et en aviser la LFP en lui communiquant copie de ladite mise en demeure.
- A défaut pour un club de s'acquitter de son obligation dans les cinq jours ouvrables suivant la mise en demeure envoyée par un joueur, ce dernier portera le litige devant la commission juridique dans le cadre des dispositions relatives à la résiliation unilatérale.
- Indépendamment de cette action, le joueur peut saisir de son litige le conseil de Prud'hommes compétent par lettre recommandée adressée au secrétariat de ce Conseil.
Pour résumer
- Retard de paiement équivalent à deux mois de salaires (notion de « salaire » entendue largement, primes comprises)
- Exigibilité à la date convenue au contrat ou, lorsque celle-ci n'est pas précisée, à la fin du mois concerné
- Mise en demeure préalable, la jurisprudence étant particulièrement souple concernant les modalités de transmission de ladite mise en demeure
- Possibilité de faire condamner le club au paiement d'une indemnité de rupture
- Application de l'article 259-2 de la CCNMF en France
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